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Le vétérinaire, partenaire essentiel des refuges et associations animales : entre soin, médiation et engagement

17 juin 2025

Un contexte en profonde évolution pour la protection animale

En France, le secteur de la protection animale se trouve à la croisée de plusieurs mutations majeures : augmentation constante du nombre d’animaux abandonnés, judiciarisation accrue des infractions à la législation, évolution des attentes sociétales quant au bien-être animal, et aussi essor du bénévolat associatif. Les refuges et associations, à la première ligne de ce bouleversement, mobilisent chaque année des milliers de personnes et prennent en charge des centaines de milliers d’animaux.

En 2022, selon la Société Protectrice des Animaux (SPA), le nombre d’animaux recueillis a dépassé les 45 000 sur le territoire, dont une majorité de chats (Source : SPA). D’autres associations, plus modestes, gèrent des flux équivalents à l’échelle locale, dans une dynamique où la mission de santé animale occupe une place croissante et complexe.

Les missions du vétérinaire en refuge : multifonctionnalité et adaptation constante

La place du vétérinaire dans ces structures ne se limite plus au simple soin. La transformation et la professionnalisation du secteur amènent le vétérinaire à endosser différents rôles :

  • Soignant : diagnostic, traitement, chirurgie, gestion des maladies infectieuses, suivi des opérations de stérilisation, vaccination systématique.
  • Gestionnaire de la santé collective : mise en place de protocoles sanitaires, suivi des épidémies, management des flux animaux, gestion des entrées massives (saisies, collectes…).
  • Médiateur : interface avec les adoptants, les bénévoles, le public, accompagnement pédagogique sur les soins, la prévention et le bien-être.
  • Expert légal : réalisation et attestation de constatations vétérinaires lors de cas de maltraitance, éléments pour les procédures judiciaires, avis sur la dangerosité.
  • Formateur : animation de sessions de sensibilisation auprès du personnel, des bénévoles, ou en partenariat avec des écoles ou collectivités.

Le quotidien s’avère protéiforme, les décisions exigent une adaptation à la diversité des situations, du chaton trouvé sur un parking aux saisies de plusieurs dizaines d’animaux dans des “refuges de fait”.

Des contraintes fortes : entre idéal et réalité de terrain

La pratique vétérinaire en refuge est souvent éloignée de l’image d’Épinal que l’on se fait du soin animal : manque chronique de moyens financiers, difficiles arbitrages éthiques, gestion du temps compté, surcharge émotionnelle. Selon la SPA, le budget annuel moyen dédié à la santé animale dans un refuge s’élève à 20 à 30 % de ses ressources propres, alors que la fréquence des pathologies augmentent, notamment chez les chats (typhus, coryza) et les chiens issus de l’élevage illégal (maladies parasitaires, troubles comportementaux).

Outre la question des moyens, les refuges font également face à une pénurie de vétérinaires volontaires ou salariés : en 2023, près de 20 % des refuges déclaraient avoir des difficultés d'accès à un vétérinaire conventionné (source : enquête Fondation 30 Millions d’Amis). Ce déficit s’explique à la fois par la désertification vétérinaire en zones rurales et par la faible attractivité salariale de ces postes.

Enfin, la question de l’euthanasie est un point de tension. Défendue par certains pour limiter la souffrance animale lorsque la prise en charge s’avère irréaliste, décriée par d’autres au nom du “no kill”, elle pose des dilemmes éthiques réguliers et nécessite discernement, dialogue et formation.

Des collaborations et des synergies en mutation

Si la législation impose une surveillance vétérinaire minimale dans chaque refuge (décret du 3 avril 2014), les modalités de collaboration sont en réalité très diversifiées :

  • Conventionnement (avec des vétérinaires de la région) : c’est le modèle majoritaire. Le vétérinaire intervient selon un rythme fixé (souvent hebdomadaire), gère les urgences et donne un avis sur l’euthanasie ou l’adoption.
  • Salariat de vétérinaires : quelques grandes structures (SPA, Fondation Assistance aux Animaux…) embauchent en interne pour davantage de suivi. Cela garantie une continuité des soins et une professionnalisation accrue.
  • Réseaux de bénévoles : certaines associations rurales s’appuient sur un réseau de vétérinaires bénévoles, souvent anciens praticiens à la retraite ou jeunes diplômés en recherche d'expérience. Ce modèle solidaire est fragile et demande beaucoup de coordination.
  • Coopération interdisciplinaire : nouvelles formes de partenariats entre vétérinaires, éducateurs animaliers, éthologues, comportementalistes… réponses plus globales et holistiques face à la souffrance animale ou aux troubles comportementaux.

Le “Plan de stérilisation obligatoire des chats” lancé par certaines municipalités et collectivités (par exemple, la Ville de Paris en 2020, avec plus de 5000 interventions vétérinaires sur chats errants) illustre la montée croissante de ces dispositifs collaboratifs, afin de limiter la surpopulation féline et la transmission de zoonoses.

Enjeux de santé publique et de formation : le vétérinaire, acteur clé sur de nouveaux fronts

L’implication des vétérinaires dans les refuges n’est pas seulement une question d’éthique individuelle ou de compassion. Elle revêt un intérêt crucial de santé publique :

  • Surveillance épidémiologique : le regroupement d’animaux, notamment issus de trafics ou de surnombre, rend vulnérables aux infections émergentes (voir épidémie de typhus félin dans plusieurs refuges d’Île-de-France en 2021, source : Anses).
  • Prévention des zoonoses : rage importée, teigne, leptospirose… le vétérinaire est le point d’alerte pour endiguer la transmission à l’humain et au cheptel.
  • Maintien du lien social : la présence d’animaux sains, adoptables, socialisés, contribue à la réussite des adoptions et à l’intégration de populations vulnérables (personnes âgées, familles précaires adoptant leur premier animal).

Ce champ d’action implique une formation spécifique : l’Ordre des vétérinaires, mais aussi les écoles nationales vétérinaires (ENV), proposent aujourd’hui aux étudiants des stages ou des modules de découverte sur la médecine des animaux de refuge, pour les sensibiliser aux particularités de ce secteur et aux enjeux éthiques qui l’accompagnent (voir ateliers “Médecine collective et protection animale” à VetAgro Sup Lyon).

Des initiatives collectives, telles que l’Association Française des Vétérinaires en Refuges (AFVR), militent pour la reconnaissance d’un véritable “vétérinaire de refuge”, disposant de référentiels clairs, d’outils de formation dédiés, et d’une valorisation de son engagement.

Regards croisés : témoignages et impacts concrets

L’expertise vétérinaire transforme le quotidien des structures d’accueil. Ainsi, lors des grands sauvetages de chiens issus d’élevage clandestins (comme l’affaire de l’élevage de Bessines en 2021, où plus de 200 animaux ont été pris en charge simultanément), la réactivité, la capacité de diagnostic rapide et l’organisation des quarantaines sont décisives pour limiter la mortalité.

Au-delà du soin, le vétérinaire peut aussi être moteur de politiques d’adoption responsables, en informant les familles sur les besoins spécifiques des animaux âgés, handicapés ou porteurs de maladies chroniques. De nombreux refuges mettent en place, sur recommandation vétérinaire, des contrats d’adoption “spéciaux” pour ces individus plus vulnérables ou moins attractifs, intégrant des suivis vétérinaires accessibles ou gratuits.

On observe également l’émergence de pratiques innovantes, telles que les consultations préventives gratuites lors d’événements associatifs, ou les actions de formation auprès des collectivités, visant à sensibiliser sur la stérilisation et la gestion éthique des animaux libres (chats en zone urbaine et rurale).

Pistes de réflexion et perspectives pour une implication vétérinaire renouvelée

Une certitude : la demande d’expertise vétérinaire en refuge va croître, portée par la nécessaire professionnalisation du secteur, la complexification des enjeux sanitaires et l’évolution de la législation. Mais l’avenir passe par :

  • La création de véritables filières mixtes santé animale-protection animale au sein des cursus vétérinaires, pour susciter des vocations précoces.
  • Un soutien accru des pouvoirs publics à l’engagement vétérinaire bénévole et salarié (revalorisation, soutien matériel, prise en compte dans la formation continue).
  • Une reconnaissance élargie de la pluralité des métiers du vétérinaire, loin de l’image unique du praticien libéral, afin de mieux attirer sur ces postes encore trop méconnus.
  • L’essor des outils numériques partagés (dossiers médicaux communs, télé-expertise, plateformes de formation asynchrone) pour renforcer le lien ville-refuge et le suivi des animaux à distance.

Le défi, à l’avenir, sera de réconcilier engagement passionné, efficacité sanitaire, développement éthique des structures et attractivité durable du métier. La voie existe : elle se trouve dans la co-construction entre vétérinaires, associations, bénévoles, collectivités. Ouvrir les portes du dialogue, investir la formation, valoriser l’action concrète, telles seront les clefs d’un modèle renouvelé pour le bien de l’animal… et de notre société tout entière.

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