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Les vétérinaires de la faune sauvage : au cœur du vivant, loin des sentiers battus

20 juin 2025

Comprendre la faune sauvage : définitions et spécificités

Le vétérinaire en faune sauvage œuvre spécifiquement auprès des animaux non domestiqués et non captifs, vivant dans leur milieu naturel : mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles, parfois poissons. Cette définition exclut généralement les animaux de zoo (bien que la frontière soit poreuse), ou encore la faune des élevages cynégétiques.

En France, la faune sauvage compte, selon l’INPN (Inventaire National du Patrimoine Naturel), plus de 44 000 espèces animales, dont environ 8 000 vertébrés et le reste composé d’invertébrés.(INPN, 2022) Le vétérinaire de la faune sauvage doit donc s’adapter à une biodiversité vertigineuse, avec des connaissances transversales et pluridisciplinaires.

Quelles missions pour le vétérinaire en faune sauvage ?

  • Soins directs et urgences : Prise en charge d’individus blessés, malades ou orphelins, souvent recueillis par les centres de sauvegarde de la faune sauvage. Selon le réseau UFCS (Union Française des Centres de Sauvegarde), 40 000 animaux sauvages sont admis chaque année en centre, essentiellement des oiseaux et des petits mammifères.(UFCS, 2023)
  • Surveillance sanitaire : Participation à la veille épidémiologique. Cela inclut le suivi des maladies émergentes (grippe aviaire, tuberculose bovine dans la faune sauvage, peste porcine africaine, etc.) qui peuvent menacer à la fois la faune, l’élevage et parfois l’Homme.
  • Études et recherche : Travaux sur la biologie, l’écologie, l’éthologie et l’épidémiologie des espèces. Ces missions s’effectuent avec des organismes comme l’OFB, les parcs nationaux, ou l’INRAE.
  • Gestion des populations : Conseils sur les plans de régulation, réintroductions, ou prélèvements, toujours dans une optique de préservation des équilibres naturels, parfois en interface avec la chasse ou l’agriculture.
  • Formation, conseil et sensibilisation : Accompagnement des agents (ONF, gardes forestiers, associations), des élus ou du grand public, pour mieux comprendre les enjeux de la faune sauvage.

Au quotidien : entre terrain, laboratoire et plaidoyer

Le terrain reste le cœur du métier : captures, anesthésies, soins, poses de balises, autopsies d'animaux morts pour déterminer la cause du décès… Les journées sont rarement identiques et souvent rythmées par les saisons ou les crises (épizooties, pollutions majeures, collisions routières de masse…).

Avec la multiplication des interfaces entre l’humain et la faune – urbanisation, expansion agricole, infrastructures routières – les vétérinaires sont particulièrement sollicités pour les espèces dites « sentinelles » (chauve-souris, blaireaux, oiseaux migrateurs) capables de signaler très tôt des déséquilibres sanitaires ou environnementaux (source : OFB).

En parallèle, l'activité en laboratoire reste fondamentale, notamment pour l'analyse de pathogènes, le suivi génétique des populations ou encore l’étude des prélèvements biologiques. Les vétérinaires collaborent ici avec des biologistes, toxicologues, microbiologistes ou chercheurs en écologie.

Des chiffres-clés pour mesurer l’impact

  • Chaque année, plus de 8 000 autopsies animales sont réalisées en France pour des enjeux de surveillance sanitaire de la faune sauvage (source : Saisine Anses, 2023).
  • La France compte une cinquantaine de centres de sauvegarde et quelques unités mobiles régionales capables d’intervenir sur le terrain, mais le nombre de vétérinaires spécialisés en faune sauvage demeure inférieur à 300 sur le territoire national (source : Ordre des Vétérinaires).
  • La surveillance de la faune sauvage est jugée essentielle par les experts de l’OMS pour éviter 75% des maladies infectieuses émergentes, zoonotiques dans leur immense majorité (OMS, 2020).

Compétences, formation et parcours professionnels

Le secteur attire, mais il reste exigeant et concurrentiel. Les compétences nécessaires transcendent la médecine :

  • Maîtrise des protocoles vétérinaires d’urgence et de soins, sur espèces parfois très peu étudiées ;
  • Connaissance approfondie de l’écologie et des enjeux naturalistes ;
  • Compétences en captures, contention, anesthésies spécifiques ;
  • Capacités d’analyse épidémiologique et de diagnostics environnementaux ;
  • Communication et pédagogie, représentation auprès d’équipes pluridisciplinaires ;
  • Gestion de l’éthique et du droit de l’environnement (arrêtés, conventions, statut des espèces protégées…)

Les écoles vétérinaires françaises (ENV) permettent en 5ème année de choisir une spécialisation « faune sauvage », souvent suivie de diplômes complémentaires comme le Diplôme Universitaire de Vétérinaire Ruraliste et Faune Sauvage ou le Diplôme d’Université de Pathologie de la Faune Sauvage.

Les possibilités de carrière incluent : postes en administrations (OFB, ministères), ONG, centres de soins, laboratoires publics de recherche, ou collaborations avec des universités et instituts scientifiques. Les débouchés, quoique passionnants, sont cependant limités par le faible nombre de structures dédiées sur le territoire.

Éthique et dilemmes : soigner sans domestiquer

Le principal défi repose sur l’éthique : traiter un animal sauvage n’est jamais un geste anodin. L’objectif premier reste la restauration de l’autonomie pour permettre le retour à l’état sauvage, sans imprimer de stress ou de dépendance à l’humain.

Certains cas soulèvent des dilemmes non résolus :

  • Soigner un renard accidenté dans une région où il peut être chassé ou piégé légalement, est-ce légitime ?
  • Réintroduire un oiseau migrateur soigné dans une zone polluée a-t-il du sens s’il n’y survivra pas ?
  • Pousser à la réhabilitation en captivité d’un animal menacé ou privilégier une euthanasie rapide pour limiter la souffrance et la compétition écologique ?

La réglementation vient encadrer ces pratiques : la plupart des espèces protégées nécessite des autorisations spéciales pour la contention, l’anesthésie ou l’euthanasie. Le vétérinaire joue alors le rôle d’arbitre, entre bien-être animal et préservation des écosystèmes (Arrêté du 29 octobre 2009 relatif aux soins à la faune sauvage, Legifrance).

Faune sauvage et santé publique : une frontière de moins en moins nette

L’exemple de la pandémie de Covid-19, probablement liée à une zoonose transmise via des animaux sauvages, a clairement replacé le vétérinaire faune sauvage au centre du dispositif de vigilance sanitaire global (approche « One Health » ou « Une seule santé »).

La surveillance des pathologies animales n’est pas dissociable de la santé humaine, ni de la préservation de l’environnement. La traque des foyers de rage dans la faune autochtone et d’autres maladies telles que la maladie d’Aujeszky ou la tuberculose bovine illustre la nécessité d’une coopération constante entre vétérinaires publics, médecins biologistes et acteurs de la gestion environnementale (Anses, 2020).

Enjeux d’avenir et défis persistants

Face au réchauffement climatique, à la fragmentation des habitats, à la multiplication des espèces invasives et à l’explosion des zoonoses, le vétérinaire de la faune sauvage incarne un métier d’avenir en constante adaptation.

  • La transition vers une prise en charge interdisciplinaire (écologues, vétérinaires, agronomes, biologistes et sociologues) devient inévitable pour anticiper les crises sanitaires majeures.
  • Les outils technologiques nouveaux (télémétrie, génomique, imagerie portative, IA pour l’analyse de population) reconfigurent le métier, ouvrant des champs inexplorés.
  • L’enjeu de formation est crucial : comment garantir un renouvellement suffisant de spécialistes alors que l’attractivité reste limitée par un manque de postes et de financements récurrents ?
  • La société attend plus d’informations et de transparence sur l’impact des interventions, notamment dans la gestion des espèces concurrentes ou des situations de surpopulation animale.

Perspectives et appel au dialogue

Si le vétérinaire de la faune sauvage n’appartient pas à l’imaginaire populaire autant que le praticien canin ou équin, il incarne une fonction essentielle, trop souvent ignorée, à l’interface de l’animal, de l’humain et du milieu naturel. Accompagner la transformation de ce métier, le rendre mieux compris, plus soutenu et mieux intégré aux enjeux de santé publique, fait partie de la feuille de route de tous ceux qui s’engagent pour la biodiversité.

Les débats sont nombreux, les solutions jamais uniques, mais chacun peut contribuer à renforcer la place de la faune sauvage dans nos politiques de santé et d’environnement. Le futur de la profession se jouera sans doute dans cette capacité à dépasser les cloisonnements au profit d’une vision élargie du soin et de la préservation.

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