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Vétérinaire libéral en France : comprendre un statut pivot de la profession

10 juillet 2025

Mutation des pratiques et persistance du modèle libéral

Le métier de vétérinaire s’inscrit depuis longtemps dans le paysage des professions libérales françaises. Pourtant, derrière cette évidence, le statut même de « vétérinaire libéral » continue de susciter interrogations et débats. À l’heure où les mutations s’accélèrent – digitalisation, regroupements, pression sociétale, médicalisation croissante du rapport à l’animal – faire le point sur ce statut s’impose : à qui s’adresse-t-il, quels sont ses droits, ses devoirs et ses défis ?

Au cœur de cette réflexion, une réalité : sur les quelque 20 000 vétérinaires inscrits à l’Ordre national en 2023, près de 16 000 exercent en clinique privée, dont la majorité en tant que libéraux (source : Rapport annuel de l’Ordre national des vétérinaires 2023). Si la pratique salariale gagne du terrain, le modèle indépendant structure toujours la profession – en ville comme en milieu rural.

Définition du vétérinaire libéral : cadre légal et spécificités

Être vétérinaire libéral, c’est avant tout exercer sa profession à titre indépendant, soit seul (structure individuelle), soit en société (structure de groupe), en dehors du cadre d’un contrat de travail salarié. Cette indépendance a des enjeux : éthique, responsabilité, mais aussi organisation et gestion. À la différence notable du salariat ou de la fonction publique, le vétérinaire libéral supporte directement le risque économique, mais maîtrise aussi les choix structurels de sa pratique.

Le statut recouvre aujourd’hui différentes formes juridiques possibles :

  • Exercice individuel : soit en nom propre (entreprise individuelle, EI/EIRL) ou en micro-entreprise pour les activités accessoires (Ordre national des vétérinaires).
  • Exercice en société : la majorité des vétérinaires libéraux exercent désormais sous forme de sociétés (SELARL, SELAS, SCP, etc.), ce qui permet d’associer plusieurs praticiens, d’optimiser la gestion et d’accueillir plus facilement des collaborateurs.

L’Ordre des vétérinaires régule ces différentes formes pour garantir le respect de la déontologie et la protection du public (Décret n° 2015-289 du 16 mars 2015). L’indépendance de décision médicale, la liberté de choix du client, et le respect de l’animal : autant de principes qui fondent la confiance et structurent l’image du vétérinaire libéral.

À qui s’adresse ce statut ? Profils et trajectoires

Contrairement à une idée reçue, le statut libéral n’est pas réservé aux seuls « chefs d’entreprise » chevronnés ou à celles et ceux qui rêvent de posséder leur propre clinique. Il offre de multiples visages, adaptés à différents moments du parcours professionnel :

  • Jeunes diplômés, de plus en plus nombreux à effectuer leurs premières années comme collaborateurs libéraux (avec rétrocession d’honoraires ou forfaits) avant de s’associer ou de s’installer : en 2022, près de 58 % des vétérinaires de moins de 30 ans en exercice libéral travaillaient sous ce régime (SNVEL).
  • Associés de sociétés vétérinaires, partageant les responsabilités, la gestion et la stratégie à parts égales ou selon la répartition des parts : cette structure collaborative prend une ampleur croissante, notamment chez les femmes, qui composent désormais 66 % des diplômés annuels.
  • Vétérinaires spécialisés (en imagerie, chirurgie, équine ou faune sauvage), qui apprécient la possibilité d’organiser leur activité à la carte et de proposer leurs services à divers établissements ou confrères.
  • Ruraux et urbains, où le libéral a traditionnellement construit le maillage territorial du soin animal, même si les défis diffèrent selon l'environnement.

Autrement dit, le libéral s’adresse aussi bien à l’expert souhaitant maîtriser son activité qu’au généraliste engagé sur son bassin de vie ; au porteur de projet collectif comme à l’indépendant convaincu.

Cadre réglementaire : exigences, droits et obligations

Le vétérinaire libéral, quel que soit son mode d’exercice, est soumis à un ensemble précis d’obligations réglementaires, déontologiques et fiscales.

1. Inscription à l’Ordre et contrôle de la qualification

  • Obligation d’inscription à l’Ordre national dès qu’il débute son activité indépendante, avec déclaration de la structure d’exercice, du lieu, des associés le cas échéant.
  • Mise à jour annuelle de la situation (personnelle et d’exercice).

2. Responsabilité civile professionnelle et assurance

  • Assurance obligatoire, garantissant les dommages causés dans le cadre de l’activité (erreur, incident, etc.), y compris pour les collaborateurs libéraux.
  • Responsabilité pénale et disciplinaire : le vétérinaire libéral peut voir sa responsabilité engagée en cas de faute professionnelle.

3. Régime fiscal et social

  • Imposition des bénéfices non commerciaux (BNC) pour l’entreprise individuelle ou imposition sur les sociétés selon le statut de la structure.
  • Affiliation à la CARPV : la Caisse Autonome de Retraite et de Prévoyance des Vétérinaires assure la protection sociale pour tous les libéraux. Les cotisations sont obligatoires et calculées en fonction du chiffre d’affaires et du statut.
  • TVA et obligations comptables : la TVA s’applique dès lors que le chiffre d'affaires dépasse 36 800€ (en 2023). Une comptabilité rigoureuse s’impose.

4. Règles déontologiques spécifiques

  • Interdiction stricte de tout compérage (entente illicite) ou de publicité déloyale.
  • Transparence vis-à-vis des clients sur la politique de tarifs et sur le niveau de compétences des intervenants.
  • Obligation d’information et de respect du consentement éclairé des clients.

Cette architecture réglementaire vise à préserver l’intérêt du client comme l’image de la profession, tout en préservant la liberté de pratique propre au statut libéral.

Avantages et réalités du quotidien : entre liberté, responsabilités et contraintes

La réalité du vétérinaire libéral oscille entre un haut degré d’autonomie, parfois porteur de sens – choix de la patientèle, des horaires, des investissements, des orientations médicales – et des responsabilités lourdes : responsabilité juridique, pression fiscale, gestion administrative, charges d’équipement, continuité des soins…

Quelques données donnent la mesure de ce défi :

  • En 2021, le revenu médian net annuel des vétérinaires libéraux avoisinait 36 300€ (source : étude SNVEL), mais la dispersion est très forte selon la région et le secteur d’activité. Le quart le mieux rémunéré dépasse les 55 000€, tandis que 15 % déclarent moins de 20 000€.
  • L’activité libérale implique une semaine moyenne de 50 à 60 heures, souvent au-delà dans le rural (GIV, 2021), avec un impact fort sur l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, qui demeure un sujet d’alerte pour la profession.
  • 71% des jeunes vétérinaires expriment en 2023 des craintes face aux responsabilités administratives et à la complexité des charges liées au statut libéral (enquête AVPOC).

Ce sont précisément ces enjeux qui nourrissent aujourd’hui les interrogations sur l’attractivité du modèle. Au-delà de la passion, le libéral impose une bonne capacité d’adaptation aux réalités entrepreneuriales, souvent insuffisamment abordées en formation initiale.

Enjeux actuels et perspectives d’évolution

Le paysage français du vétérinaire libéral évolue : la proportion de cliniques détenues par des fonds d’investissement progresse (estimée à 12 % en 2023, contre moins de 2 % il y a 5 ans – Le Monde), modifiant la répartition des pouvoirs, le rapport à l’indépendance, et parfois la relation au client. De façon parallèle, les structures de taille moyenne se regroupent pour mutualiser les moyens et renforcer l’attractivité auprès de jeunes vétérinaires.

Une dynamique nouvelle se dessine, faite de :

  • Montée de la multi-activité : développement de prestations spécialisées à la carte (comportement, imagerie, médecines alternatives…).
  • Mixité croissante des formes d’exercice : articuler l’activité libérale avec des missions de formation, de conseil, de secours à la faune sauvage, voire de « vétérariat mobile ».
  • Débat sur le « juste prix » : pour garantir l’accessibilité, la viabilité des structures indépendantes et la reconnaissance du savoir-faire vétérinaire.
  • Nouvelles attentes des jeunes diplômés : volonté d’équilibre, d’engagement collectif, de sens dans une profession longtemps marquée par la figure du praticien isolé, ultra-responsable.

Enfin, il est essentiel de rappeler qu’être vétérinaire libéral aujourd’hui, c’est aussi être au croisement d’enjeux de santé publique (antibiorésistance, biosécurité), de transition écologique (bien-être animal, efficacité des filières), et de mutations sociétales (rapport à l’animal, attentes de transparence).

Vers quelles évolutions pour le libéral ?

À l’heure où la profession interroge ses modèles, le statut de vétérinaire libéral reste un pilier. Sa diversité, sa capacité d’adaptation et son ancrage territorial en font toujours un levier essentiel pour l’innovation, la résilience et la proximité. Pourtant, il est urgent de questionner ses modalités pour répondre aux défis de demain : formation à la gestion, meilleure protection sociale, reconnaissance accrue de sa fonction sociale, attractivité renouvelée – autant de chantiers ouverts auxquels la profession ne peut répondre que collectivement.

Le statut libéral n’est pas qu’une forme d’exercice : il demeure un marqueur profond de la relation entre vétérinaires, société et vivant. Comprendre ses contours et ses évolutions, c’est engager la profession dans une dynamique d’avenir, fidèle à ses valeurs, mais ouverte aux nouvelles attentes du monde qui l’entoure.

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